Entre aspirations et passage à l'acte

Pendant le premier confinement 11% des habitants de Paris intra-muros ont quitté la Capitale. Post confinement, tout est rentré dans l'ordre, il n'y a pas eu de transhumance massive. L'engouement pour l'art de vivre provincial est resté un phénomène médiatique, mais le passage à l'acte n'a pas eu lieu. Quelles sont les raisons du blocage ? Essayons d'y voir plus clair entre les aspirations des français, les atouts des villes intermédiaires et la difficulté à faire le pas vers un mode de vie différent.

Les aspirations

- Qualité de vie : Nous aspirons en majorité à une vie plus apaisée où l'urbanité l'emporterait sur l'urbanisme et où l'humain serait au centre des préoccupations. Dans l'inconscient collectif, les villes médianes semblent répondre à ces critères orientés vers le "Care".
Cet art de vivre correspond également à une quête de sens exprimée notamment par les milléniaux (nés entre 1984 et 96) et relayée par la génération z (1997<>2010). Au "work hard, play hard" semble se substituer des modèles plus doux et plus en adéquation avec ce que peut offrir la province, comme le "slow food" ou la "slow life".

- Le temps perdu et le temps retrouvé : Aujourd'hui la vie se structure de moins en moins autour du temps passé au travail. Le passage aux 35 heures, les RTT, le congé parental sont autant de temps gagnés pour se consacrer à d'autres occupations. Les habitants des grandes métropoles sont conscients du nombre d'heures perdues chaque jour dans les transports. Ils aspirent à vivre autrement. La ville, où tout est à 5 minutes maxi, les fait rêver.

- L’espace : Les français rêvent d''espace. Ils veulent majoritairement vivre dans une maison individuelle. Contrairement à la France urbaine des apéros en terrasse, la "France BBQ" de la périphérie sociabilise dans son jardin.

- La nature : Les préoccupations environnementales, la pollution, l'envie d'accéder rapidement à un bois, une forêt, un paysage apaisant… Bref le besoin de "respirer" est dans le peloton de tête des aspirations des français.
Ce besoin de nature fait écho à d'autres tendances lourdes comme le bio, le local, la quête de valeurs.

- La ville refuge : Lors du premier confinement, vous avez sans doute entendu cette phrase dans les médias "De nombreux français ont trouvé refuge en province". L'utilisation du mot "refuge" est révélatrice. Elle évoque la notion de cocon. D'un espace protégé. Dans un monde où le rythme du changement est exponentiel, la recherche d'un espace plus humain fait partie de l'équation.

- Connectivité : Les flux s'inversent. Avec le télétravail, on ne va plus au boulot, c'est l'activité qui vient à nous. Avec les plateformes, on ne va plus faire ses courses, elles sont livrées. Même les loisirs deviennent virtuels. On peut jouer en ligne avec ses amis sans se déplacer. Sans parler du métaverse, qui permettra à chacun de vivre dans le virtuel.

La connectivité est au centre de notre vie. Fibre, 5G, mais aussi connexions ferroviaires, autoroutières. Les villes médianes doivent absolument répondre à ce besoin pour exister.

- Fragmentation et segmentation : Nos vies sont plus longues et moins linéaires. On déménage, on change de job, on divorce, on se pacse, on est au chômage, on se reconvertit, on part à la retraite… A chaque segment correspond des besoins, des styles de vie et des envies différentes.
La typologie des familles s'est fragmentée. Au modèle dominant des années 60 : Au couple marié avec des enfants s'est substituée la famille recomposée, monoparentale, gay, mixte… La ville doit s'adapter et proposer des solutions à chacun pour chaque moment de vie. La société se fragmente et nos vies se segmentent. L'urbanisme et la gestion de la ville sont en train de passer du prêt à porter au sur mesure pour répondre aux aspirations de leurs habitants.

- Je veux rester là : Si autrefois il était admis (voire bien vu) de quitter sa petite ville de province pour faire carrière, les jeunes sont de plus en plus nombreux à vouloir rester proches de leurs racines. Certains, plus âgés, laissent même tout tomber pour revenir vivre dans la ville où ils ont grandi. Ce phénomène encore marginal et difficile à quantifier, traduit néanmoins une envie profonde. Celle de donner du sens à sa vie.

- L’humain : Les villes moyennes répliquent à l’anonymat des grandes villes, en proposant un modèle plus humain et plus solidaire. On connait son voisin. On prend le temps d'échanger quelques mots. On dit bonjour, quand on rentre dans une boutique… Tout un ensemble de pratiques qui peuvent sembler étrange au parisien, mais qui rendent la vie plus humaine.
Temps retrouvé, lieux de vie plus spacieux et plus abordables, nature à proximité, vie plus douce, plus humaine. Que manque-t-il à ce tableau idyllique ? Pourquoi ne sommes-nous pas plus nombreux à déménager ? Si les villes médianes veulent trouver une réponse à cette question, il faut identifier les facteurs qui nous empêchent de passer à l'acte.

Qu'est-ce qui bloque ?
- L’emploi : C'est le frein numéro un. Plusieurs aspects sont à prendre en compte.
- En premier l'offre. Douze métropoles drainent 50% de l'emploi et la moitié des startups du secteur numérique sont situées en Ile de France. Sur ce marché très compétitif, la situation des villes moyennes est contrastée. Elle dépend des interactions locales, de la vitalité du tissu économique et industriel local, ainsi que de la proximité aux métropoles.
- La qualité de l'offre est également à prendre en compte. Le secteur de la logistique est celui qui se développe le plus rapidement. C'est aujourd'hui le cinquième secteur d'activité en France. Les cadres y sont sous représentés et ce domaine propose essentiellement des postes de manutention.
- L'évolution et l'attractivité des carrières, sont des facteurs déterminants si l'on veut attirer des talents. Les secteurs comme la grande distribution ou la logistique particulièrement représentés dans les villes médianes, offrent peu de perspectives de promotion.
- L'emploi du conjoint, peut être un facteur bloquant au moment de prendre la décision de changer de ville. Plus les populations sont qualifiées et plus il pourra être difficile de trouver deux emplois de haut niveau dans le même bassin d'activité.
- Mobilité dans la fonction publique. Obtenir une mutation rapide pour suivre son conjoint ou son compagnon, peut s'avérer être difficile.

- Les autres facteurs bloquants : Si l'emploi constitue LE facteur déterminant pour la population active, différentes questions peuvent motiver le choix d'autres groupes de population.
Par exemple les retraités seront sensibles à l'offre de soins. Les jeunes couples à la présence d'une maternité sur le territoire. Le déracinement, l'éloignement de la famille et des amis peut faire réfléchir. Les parents de jeunes adolescents se demanderont où leurs enfants vont poursuivre leurs études. Les passionnés de culture seront attentifs à la vie artistique. Parmi les autres points fréquemment évoqués : la sécurité, la pollution, la connectivité, la proximité d’une gare ou aéroport.
Les aspects budgétaires pèseront lourds dans la balance. L'immobilier est certes plus accessible dans les villes médianes que dans les métropoles, mais d'autres dépenses sont à intégrer. Comme l'obligation d'avoir un, voire deux véhicules. La montée du prix de l'essence et des péages, le durcissement législatif (Radar, vidéo verbalisation, malus…) et l'incertitude sur le choix énergétique lors de l'achat du véhicule ne facilitent pas la tâche. Toujours dans la colonne budget, il faut ajouter les dépenses de chauffage, qui sont plus importantes pour une maison individuelle, située dans un lotissement de périphérie de ville, que pour un appartement. Enfin, comparés à ceux des métropoles, les impôts locaux peuvent être exorbitants dans certaines villes médianes.
Il nous faut évoquer un dernier facteur. Celui du sentiment de déclassement que peuvent éprouver certains habitants, quand ils quittent les grandes métropoles pour s'installer dans des villes médianes. Ne dit-on pas en qu'on monte à la capitale et qu'on descend voir la famille en province. Ces tournures de phrase sont révélatrices du classement des territoires dans l'inconscient collectif des Français.

Les défis
Surmonter les blocages et rendre le territoire désirable en mettant en avant les réponses qu'il apporte aux aspirations de nombreux français. Voilà le défi qui attend les Maires et les responsables des collectivités locales.
Surmonter les blocages, c'est en premier s'attaquer à la situation économique des villes intermédiaires. Pour y voir plus clair et guider les décideurs locaux, le CGET (Commissariat Général à l'égalité des territoires) propose de se référer à son indicateur de fragilité. Il repose sur trois critères : Le taux de croissance, le taux de chômage et le taux de pauvreté. Tous sont corrélés.
- Pas de remède universel. Y-a-t-il des recettes miracles pour améliorer ces taux et relever le défi de l'emploi ? Quand on observe la diversité des trajectoires économiques des villes médianes, aucune formule magique applicable à toutes les communes ne semble se dégager. Chacune a sa réalité : Proximité d'une métropole qui l’entraine ou la phagocyte ; Bassin industriel en développement ou en récession ; Situation géographique touristique ou sans attrait… En fonction des mêmes réalités, les trajectoires économiques peuvent être différentes, voir opposées.

C'est la preuve que les dynamiques ne résultent pas exclusivement des paramètres géoéconomiques du terrain. Elles sont également le fruit de la volonté et de la créativité des hommes et les femmes qui constituent le tissu économique et politique de la ville.

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